Par Martin Landreville, président directeur général
Je suis assez vieux pour constater que le monde du travail d’aujourd’hui est beaucoup plus complexe qu’à mes débuts, il y a 32 ans. Il me semble aujourd’hui que pour chaque dilemme, plusieurs perspectives s’activent et semblent toutes aussi valables les unes que les autres. Cela me laisse devant un problème de taille : comment faire pour m’y retrouver? C’est tout un défi pour un gestionnaire comme moi qui est habitué d’appliquer des recettes et de se fier à son expérience. Ces recettes ne semblent plus fonctionner exactement comme avant. C’est comme si mon environnement et les situations attendent de moi un niveau de compétence qui est plus grand qu’avant. Je ne peux m’empêcher de penser à Richard Feynman quand je réfléchis à cette complexité. Feynman, c’est ce fameux physicien qui a grandement contribué à la mécanique quantique. Il disait : « Si vous croyez comprendre la mécanique quantique, c’est que vous ne la comprenez pas. » C’est un peu ce que je pense de la complexité du monde d’aujourd’hui. Un système est complexe si on ne peut expliquer la relation entre ses composantes simplement en les analysant, car elles sont dynamiques et changeantes.
Cependant, j’ai quand même quelque chose à quoi m’accrocher. Le fait de reconnaître que mon environnement est complexe, c’est aussi admettre ma difficulté à le comprendre. Être humble devant cette complexité est important, mais on doit également se faire confiance. J’ai fait l’inventaire des choses qui m’aident à continuer malgré ma fatigue, qui m’aident à me faire confiance. Et je me permets d’en énumérer quelques-unes. Peut-être que certaines vont aider d’autres gestionnaires comme moi à composer avec la complexité et l’incertitude.
1. Je nomme mes intentions; elles sont la base de tout ce que je fais.
Ça semble banal à première vue. Il y a quelques années, je me posais très peu de questions sur ce qui était bon et ce qui était mauvais, sur ce que je voulais et ce que je ne voulais pas. J’avançais sur le pilote automatique sans trop savoir quel sens donner à mes actions. En réfléchissant à mes intentions, je peux au moins mettre de côté toute une série d’actions et de solutions qui ne servent pas celles-ci. Cela me permet également de moins agir sur le pilote automatique et d’observer plus attentivement ce qui se passe. Je suis mieux positionné pour voir si tout est aligné sur mes intentions. Mais attention, lorsque je parle d’intentions, je parle de qui je suis vraiment, de qui je veux être, de ce que je veux faire comme différence.
2. Je suis intègre.
L’intégrité est pour moi une valeur fondamentale. Mes actions doivent refléter ce que je pense, et ce que je pense doit servir mes intentions. Je ne vais pas faire quelque chose qui trahit mes intentions. Je ne vais pas « croire » parce que ça fait du bien ni « dire » uniquement pour faire plaisir. Je ne sais pas si ma quête est noble, mais pour l’instant, ce n’est pas ce qui m’importe le plus. Ce qui me préoccupe, c’est de me respecter et de ne pas agir à l’encontre de mes valeurs.
3. J’évalue mes actifs.
J’évalue ce que j’ai, pas ce qui me manque. Une bonne façon de donner de la puissance à mes voix intérieures positives, c’est de regarder les pas que j’ai faits, pas ceux qu’il me reste à faire (surtout quand la route est longue). Il est possible que je doive faire des détours, mais je suis certainement un peu plus loin qu’il y a quelques mois ou quelques années. Si je suis capable de regarder ce que j’ai fait jusqu’à maintenant et de répondre positivement à la question « est-ce mieux qu’avant? », je suis sur la bonne voie. Évaluer mes actifs, c’est regarder mes progrès, c’est trouver ce qui fonctionne, c’est regarder les possibilités d’améliorer ce qui fonctionne bien et identifier les opportunités. C’est vivre dans une zone plus affirmative et positive, une zone qui nous tire vers l’avant, c’est la zone du « possible ».
4. Je repère les « gérants d’estrade ».
J’ai assez de mes voix intérieures sans trop me préoccuper de la voix des autres. Je remarque qu’il y a toujours quelqu’un qui pense qu’il ferait mieux, quelqu’un qui a tout compris, quelqu’un qui sait exactement ce qu’il faut faire. Il y a toujours quelqu’un qui simplifie la complexité à laquelle je fais face en évoquant des solutions simples. Je suis d’avis que pour bien comprendre une situation, il faut être au cœur de cette dernière. J’écoute ce qu’on me dit et je pose des questions, mais je suis mieux placé que quiconque pour intégrer les conseils dans ma situation quotidienne.
J’ai une intuition profonde : un leader ne change pas le futur et ne le contrôle pas. Il ne dirige pas les changements non plus, mais il essaie de leur donner un sens. Il ne cherche pas à éliminer le désordre, mais plutôt à apprendre comment être en équilibre avec lui. Il n’influence pas les autres à aller dans une certaine direction, il leur indique plutôt les voies possibles.
5. J’essaie d’en faire un peu plus.
En faire un peu plus pour moi se traduit en efforts. Personne ne peut me blâmer pour ça. Par contre, on peut me critiquer sur la pertinence de ce que je fais. Je me rabats alors sur les autres points. Je dois ici prendre garde, car parfois l’auto-motivation n’est pas suffisante. Une bonne tape dans le dos est parfois nécessaire et quand elle ne vient pas, on doit ralentir pour ne pas s’épuiser. C’est Og Mandino qui disait : « Fais un kilomètre de plus. » Ça veut dire en faire plus que la situation ne le demande.
6. Je travaille sur moi, et c’est fou ce que j’apprends!
Le travail n’est jamais terminé. Il y a toujours quelque chose à améliorer. Ce travail me permet d’apprécier les autres perspectives. Il me permet de mettre au grand jour les subtils déguisements de mon égo. Il me permet de déceler les tentatives de plus en plus sophistiquées de me donner raison. Le sculpteur dévoile son œuvre en retirant des morceaux; il sculpte un loup en enlevant tout ce qui n’est pas loup. En travaillant sur moi-même, je me dévoile lentement, non pas en enlevant des morceaux mais en les acceptant et en les intégrant.
7. J’ouvre mon cœur.
Pour certains, ce dernier point peut sembler un peu inapproprié au travail. Je trouve que c’est tout le contraire. J’ai découvert le pouvoir de l’ouverture du cœur. Je l’ai expérimenté, et je peux dire qu’à moins d’être sociopathe, on ne peut pas être indifférent à l’ouverture du cœur. Le fait d’ouvrir son cœur et de se rendre vulnérable agit directement sur le champ social, sur les gens qui nous entourent, et ouvre des possibilités.
Conclusion
Voici quelques-unes des choses qui m’aident à naviguer dans la complexité du monde de la gestion. Je crois qu’on ne doit pas se mettre la tête dans le sable, mais on ne doit pas se flageller non plus. On a qu’à imaginer que ce que nous vivons, les autres le vivent aussi à leur façon. Quand je suis fatigué, quand j’en ai marre d’avoir un vent de face, je pense à ces sept points.